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[1] Aéroplane : Synonyme ancien de avion.

27 août

Au petit jour, nous quittons le bois. Je ne réussis pas à retrouver mon sac. D’ailleurs ce sont des paquets de boue. Beaucoup le laissent. Je prends le moins sale, me disant que ce qu’il contient pourra toujours me servir.

Il ne pleut plus mais nous sommes mouillés jusqu’aux os et grelottons de froid.

Nous faisons 2 km dans la plaine par des sentiers détrempés et faisons la pause afin de permettre à des batteries d’artillerie de passer.

Nous traversons bientôt un bois de nouveau. C’est la forêt de Dieulet. On entend le canon. Nous faisons la pause et attendons. Il recommence à pleuvoir.

Extrait de la carte d’État-major – Source : Géoportail

Nous voyons des officiers de l’artillerie coloniale. Ils disent que les boches tentent de franchir la Meuse mais que chaque fois, la division coloniale les repousse jusque dans la rivière avec de fortes pertes.

Plan27-08-14

Figure dessinée par Émile Lobbedey.

Vers 10 heures, nous arrivons à la lisière du bois. Une plaine s’étend devant nous, aboutissant à une crête qui se trouve à 2 km, face au nord-est. Le bois a cette forme (voir figure). À 300 mètres, à la + [croix, sur la figure], se trouve une ferme abandonnée. Nous nous installons à la lisière du bois vers X [voir figure] et creusons des tranchées. Dans la plaine, venant de la crête et allant à la ferme, nous voyons quantité de marocains blessés qui viennent se faire panser. Quelques-uns sont transportés par des camarades.Gallica-marocainBlesseÀ midi, il cesse de pleuvoir. Le soleil luit peu après.

Nous allons à la ferme chercher de la paille. Nous y voyons beaucoup de blessés étendus et pas mal d’équipements en très bon état. On dit que nous passerons la nuit dans les tranchées* que nous venons de faire.

Vers 16 heures, un aéroplane ennemi tombe non loin de nous, les marocains l’ont abattu à coups de fusil. crashAvionAlldLe capitaine Aubrun pique des deux* à cheval et nous rapporte un débri de l’appareil. Les officiers boches sont prisonniers.

Vers le soir, je vais à la ferme prendre de la paille. Des marocains m’offrent un quart [1] de café !


Quart[1] Quart : Petit gobelet de fer-blanc avec un anse qui contient un quart de litre, la ration de vin ou de café des soldats et qui faisait partie du paquetage.

23 août

Nous partons à 2 heures. Beaucoup n’ont pas dormi. On dit qu’il faut se presser. Peu ou pas de pause. Quelques-uns ronchonnent, trouvant que c’est exagéré. Il y a des retardataires, des traînards. On s’arrête enfin au passage d’un général de brigade qui fait faire une pause d’une demi-heure. Tout le monde dort aussitôt.

À 8 heures du matin, nous débouchons sur une place plantée d’arbres où sont rassemblés un grand nombre de caissons d’artillerie attelés. C’est Gérouville.
CP-Gerouville230814On dépasse le village et prend position à l’ouest, dans des champs de pommes de terre.

Aussitôt ordre d’allumer des feux. On fait cuire des pommes de terre. Le caporal d’ordinaire* trouve au village du café et du vin ; pas d’autres choses. Le repas est délicieux ; jamais je n’ai mangé de meilleur appétit.

Il fait beau soleil. Tout le monde dort. À midi, nous changeons de position. On dit que des uhlans* sont signalés. Dissimulés au ras d’une crête, on reste en position d’attente jusque 14 heures.

Nous rentrons dans le village et formons les faisceaux* sur la place. On en profite pour envahir les boutiques. Il n’y a plus rien.

havresacIl est 15 heures quand nous mettons sac au dos. Quelques-uns ont jeté leur sac ; ils doivent ne plus savoir le porter. [Lire encadré]

Nous arrivons peu de temps après dans un bois, au nord du village.

Les voitures de ravitaillement se trouvent à la lisière de ce bois. C’est un cri de joie.

On fait une forte halte. Puis, les outils à la main, fusil à l’épaule, chaque bataillon part à un emplacement choisi faire des tranchées* qui seront occupées la nuit par des avant-postes. Les cuisiniers restent pour toucher et préparer les vivres.

On rentre à 18 heures. Il fait encore grand jour. On mange d’excellent appétit. Un aéroplane* ennemi passe au-dessus de nous à une faible hauteur. Tout le monde tire, mais personne ne l’atteint.Gallica-tirAvion
On croit reposer dans le bois. La soupe mangée, on repart et, par une route presque impraticable, on arrive dans un village qu’on dit Margny.

Bellefontaine-carteEMIl est 21 heures. Le cantonnement* est rapidement fait et chacun se couche dans les granges, heureux d’avoir un peu de paille.

À 22 heures, le caporal d’ordinaire annonce que les voitures de ravitaillement sont là et appelle des hommes de corvée*. Personne ne bouge : tout le monde est exténué.

Une heure après, alerte : sac au dos. On quitte. Je vois le caporal d’ordinaire affolé de devoir abandonner ses denrées et de n’avoir pas eu une minute de sommeil.

Il fait nuit noire, on bute, car on marche en somnolent. À la pause, tout le monde se couche et dort. Au moment de repartir, il faut réveiller les hommes à coups de pied.

19 août

Vraiment le village est triste. Le bureau de la compagnie est installé dans une maison abandonnée où couchent l’adjudant Simon et le sergent major Monchy, sur une paillasse ignoble.

Nous mangeons en popote dans une très modeste chaumière. On mange beaucoup de fruits ; partout les arbres en sont couverts.

Personnellement, je suis pris depuis la veille de maux de ventre intolérables. Je suis exempt de service heureusement et reçoit quelques boules d’opium du major qui me remet sur pied dans la soirée.

Les compagnies, l’après-midi, font quelques exercices de tirailleurs [1] dans les champs avoisinants.

Un aéroplane [2] passe. On tire ; c’était un français. Heureusement il continue sa route sans être touché.bleriot-XI-aout-1914

À partir de ce jour, défense formelle de tirer sans le commandement d’un officier.


[1] Tirailleurs : Progresser « en tirailleurs » : cette expression signifie qu’il faut prendre de grandes distances entre chaque homme et progresser en utilisant le terrain. Cela permet grâce à cette dispersion de se protéger, de se camoufler et de diminuer les pertes sous les tirs d’artillerie.

[2] Aéroplane : Synonyme ancien de avion.