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[1] Boyau : Un boyau est une voie de communication entre deux lignes de tranchées. C’est par les boyaux que « montent » et « descendent » les unités lors des relèves , non sans problèmes, dus à l’étroitesse du boyau qui peut empêcher les files d’hommes de se croiser, et aux ramifications multiples qui font s’égarer les unités.

2 mars

Capitaine Delahaye commandant du 2e bataillon
Lieutenant Collandre commandant de la 5
e compagnie

C’est en somme une nuit blanche. À 4 heures, une fusillade éclate. Nous commencions à nous assoupir. Il faut être debout. Puis c’est le marmitage qui commence, systématique.

Malgré le bombardement, j’ai le loisir de circuler un peu et je puis constater dans quel état sont les secondes lignes. C’est effroyable. Qu’il suffise de dire que les tranchées sont jonchées littéralement de cadavres de blessés morts là en se traînant vers l’arrière. Les parapets* et parados* sont faits de cinq ou six cadavres superposés et recouverts de terre.  14-18-Premieres-lignes-dans-la-region-des-Eparges.-1915Or parfois, un obus est tombé tout à côté défonçant tout, émiettant la terre quand il n’a pas réduit les corps en bouillie ; alors c’est un entonnoir dont les bords découvrent des membres, des troncs, des morceaux de viande humaine. Cette vue n’est pas supportable, malgré tout le caractère et la force d’âme qu’on puisse avoir. Je quitte ce coin peu hospitalier où les marmites* tombent dru et rejoins Pêcheur. Gallois est avec lui ainsi que l’adjudant de bataillon du 33e.

Vers 9 heures, je suis appelé : on me dit que c’est un lieutenant désigné pour commander la 5e compagnie qui me demande. Je file et vois un officier, la tête bandée. Celui-ci dit s’appeler « lieutenant Collandre », me serre la main et demande de me conduire à la compagnie. Nous filons donc au boyau* Mesnil-les-Hurlus. Après 100 m de parcours, nous trouvons un grand emplacement creusé dans la paroi du boyau, servant de dépôt de matériaux. On s’y installe. J’explique à mon nouveau chef l’odyssée de la compagnie et lui rend compte de mes ordres donnés la veille.

Charmant, le lieutenant me félicite, me dit qu’il me fera nommer adjudant, qu’il me prend à sa table. Nous fumons en attendant le sergent Radelet qui doit amener tout le contingent. Il peut être 11 heures quand Chopin apparaît avec ses marmites. La compagnie suit et Radelet arrive. Il amène tout le monde au complet. Il y a trente-cinq hommes.

Aussitôt nous décidons de former une section dont Radelet prendra le commandement. Les quatre escouades seront commandées par les trois caporaux élèves sous-officiers et un soldat de première classe Lasire, l’ordonnance du sous-lieutenant d’Ornant. Quant à la question cuisine, nous renvoyons avec Chopin un cuisinier par escouade à Mesnil-les-Hurlus.

Ainsi, après avoir fait la répartition, nous avons en tout trente-cinq hommes, trois caporaux, un sergent, un sergent fourrier, un officier ; et au combat trente hommes, trois caporaux, vingt-et-un sous-officiers, un officier. C’est maigre, après avoir eu deux cent cinquante hommes, trois officiers, quatorze sous-officiers.

Chopin s’en va. Je le charge de dire des sottises à Jamesse et Delbarre, caporal fourrier est caporal d’ordinaire. Je demande que demain Jamesse remonte sur l’ordre du commandant de compagnie. Il n’est pas permis, après que sa compagnie n’a plus que des débris, de ne pas oser venir en tranchées voir les survivants, à plus forte raison sur un ordre. Ces messieurs se chauffent dans un gourbi* à Mesnil-les-Hurlus, mangent chaud ; je vais leur apprendre de quel bois je me chauffe. Pour quatre cuisiniers, un grade suffit amplement. Le caporal fourrier de ce fait remontera ici pour me remplacer.

Nous mangeons, Radelet et moi, avec le lieutenant Collandre qui est charmant. Officier de réserve à la 10e compagnie, il eut le crâne éraflé par une balle. Il a demandé à garder son commandement et vient de nous être envoyé pour reconstituer la 5e compagnie. Il m’apprend que le sous-lieutenant Gout a la 6e, le sous-lieutenant Carrière la 7e et le lieutenant Guichard la 8e.

Dans l’après-midi, je rentre au poste du commandant Vasson et avertis le capitaine Claire que la 5e est reconstituée. Le commandant m’annonce qu’il me cite à l’ordre du jour et me lit ma citation :

Lobbedey Émile, sergent fourrier à la 5e compagnie du 147e, agent de liaison du chef de bataillon, a fait preuve d’un courage remarquable depuis le début de la campagne et particulièrement dans la période de 28 février au 4 mars où il a porté, à de nombreuses reprises, des ordres sur un terrain des plus dangereux.

« Ainsi donc », me dit le commandant, « je vous prends toujours comme agent de liaison*, car nous ne sommes que le 2 mars. Soyez sans crainte, je ne vous exposerai pas inutilement ».

Je rentre dans l’abri de Pêcheur, tout heureux de l’estime de mes chefs. Je vais peu après communiquer un ordre au capitaine Werner du 3e bataillon, qui en a le commandement, plus la 3e compagnie. Je reprends le chemin de la veille de trous d’obus en trou d’obus car la tranchée est déchiquetée par le marmitage incessant. Je rencontre toujours le triste spectacle des cadavres qui gisent. Je longe ensuite la première ligne qu’occupe la 3e compagnie et j’atteins enfin le capitaine Werner qui se trouve à l’emplacement où fut blessé le capitaine Sénéchal. Il est là, revolver au poing, sous le bombardement, encourageant ses hommes par sa présence. Je lui demande quel commandement il exerce et quelle est la situation. Il me dit qu’il a le premier bataillon à sa gauche, commandé par le capitaine de la 1ère compagnie ; il commande le 3e bataillon et prend du point M au point N ; à sa droite, il a la 3e compagnie qui prend de N en O et lui rend compte.

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Plan dessiné par Émile Lobbedey – Tome VIII

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Extrait Front de Champagne, 25 septembre 1915 – Source : Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, GE F CARTE-9675

Je prends tous ses renseignements, accroupis tous deux au fond de la tranchée, tandis que les obus de canons revolvers, à chaque passage «ziiii i Boum », rasent le parapet et nous couvrent de terre. Je repars, au petit bonheur la chance, heureux d’arriver indemne au PC Vasson et de pouvoir rendre compte de ma mission.

J’éprouve grand amusement de voir la tête des poilus qui me demandent tous si je suis blessé en voyant ma capote déchirée à l’épaule.

De là, je file trouver le lieutenant Collandre, heureux de pouvoir lui annoncer la proposition de citation et l’avertissant que je suis à la disposition du commandant Vasson.

Je rejoins Pêcheur. Celui-ci m’annonce que le capitaine prend le commandement du 2e bataillon. Je suis horriblement fatigué. Pêcheur demande donc pour moi au capitaine Claire une nuit de repos, aussitôt accordée. Je file donc au PC du 2e bataillon où nous nous sommes placés en arrivant ici. Je trouve Gallois et toute la bande occupés à manger. J’installe mon fourniment dans une petite grotte et roulé dans mes couvertures, je m’endors sans manger. Je n’en puis plus.

11 octobre

Les nuits sont bonnes malgré le froid. Tous les soirs, à la tombée de la nuit, nous a dit le 120, c’est une fusillade incessante de part et d’autre. Les boches tirent et nous leur répondons. En effet, hier soir, c’était à se demander ce qui se passait.

Je vais communiquer au capitaine Aubrun par un petit boyau [1]. Je le trouve assez bien installé dans un gourbi*. Je lui demande de recommander aux hommes de tirer moins. C’est une consommation fantastique de munitions.

À mon retour, il peut être 7 heures, je trouve nos cuisiniers de retour avec Carpentier. Chacun va à la distribution qui est bientôt faite.

On passe sa journée dans le gourbi qu’on emménage. Nous installons un petit foyer qu’on allumera la nuit. Nous pouvons faire un peu de chocolat.

En face de notre petit gourbi, s’en trouve un grand où sont entassés des amis de la liaison. Chacun s’ingénie à faire du feu pour la nuit car il fait froid d’abord et manger chaud est le souhait d’un chacun.

Le capitaine Sénéchal est installé non loin. Souvent, le capitaine Rigault passe et repasse. Il est trop franc et chacun déclare que, s’il continue, il recevra un mauvais coup. Le temps se maintient beau et vers le soir, je descends avec les cuisiniers vers La Harazée comme fourrier* afin de toucher les vivres.

La route se passe bien. Nous arrivons vers 8 heures dans le petit village abandonné. C’est une grande affluence de cuisiniers et caporaux armés de bougies et lanternes. Nous nous installons dans une maison abandonnée. Les voitures de ravitaillement arrivent et je vais chercher nos rations avec René.

Gallica-VoitRavitailJe rencontre Jean Lotthé, sergent à la 11e compagnie, venu avec les cuisiniers. Il va bien et nous nous souhaitons bonne chance.

De là, nous faisons popote* ; nous mangeons chaud et bientôt, près du feu, dans la maison défoncée, nous nous endormons, roulés dans notre couverture.


[1] Boyau : Un boyau est une voie de communication entre deux lignes de tranchées. C’est par les boyaux que « montent » et « descendent » les unités lors des relèves , non sans problèmes, dus à l’étroitesse du boyau qui peut empêcher les files d’hommes de se croiser, et aux ramifications multiples qui font s’égarer les unités.